Biographie – MANCE, JEANNE – Tome I (1000-1700)

MANCE, JEANNE, fondatrice de l’Hôtel-Dieu de Montréal; baptisée le 12 nov. 1606 dans la paroisse Saint-Pierre, à Langres, en Champagne (France), fille de Catherine Émonnot et de Charles Mance, avocat au bailliage de Langres; décédée le 18 juin 1673 à Montréal et y fut enterrée le lendemain.

La famille Mance est originaire de Nogent-le-Roi (aujourd’hui Nogent-en-Bassigny, Haute-Marne), et la famille Émonnot de Langres, où les parents de Jeanne Mance sont allés s’établir. Les deux familles appartenaient à la classe moyenne administrative ; Charles Mance et Catherine Émonnot s’étaient mariés en 1602. Ils avaient six garçons et six filles. Jeanne, leur deuxième enfant, fut probablement parmi les premières élèves confiées aux Ursulines, venues s’établir à Langres en 1613. Elle avait un peu plus de 20 ans quand elle a perdu sa mère. Très pieuse, et avec la capacité de se désintéresser d’elle-même, elle devint, avec sa sœur, le soutien de son père et s’occupa de l’éducation de ses jeunes frères et sœurs. Elle a connu les difficultés de la guerre de Trente Ans, qui n’a épargné guère les villes frontalières de la France. Des hôpitaux ont été fondés à Langres. L’évêque, Sébastien Zamet, concentre ses efforts et verse son or pour la construction d’un hôpital de charité dans sa ville. Mieux encore, il établit une société de dames pieuses orientées vers des activités caritatives de nature extérieure et sociale. C’est probablement dans ce type de travail que Jeanne Mance a d’abord servi d’infirmière. Par cela, elle a sans doute appris à prodiguer des soins d’urgence aux blessés et aux malades. Comment expliquer autrement son habileté à Ville-Marie, au chevet des victimes horriblement mutilées des Iroquois ? Au fur et à mesure que ses frères et sœurs grandissaient, elle avait de plus en plus de temps pour s’occuper d’œuvres caritatives, et son père n’était plus là pour avoir besoin de ses soins. Il était mort vers 1635.

Vers la mi-avril 1640, Jeanne apprend la présence à Langres, où il séjourne chez son oncle Simon Dolebeau, de Nicolas, fils aîné de la famille Dolebeau; il fut aumônier de la Sainte-Chapelle de Paris et précepteur du duc de Richelieu, neveu de la Duchesse d’Aiguillon. Jeanne avait une grande estime pour ce cousin. Elle a volontiers suivi ses conseils, bien qu’il ait à peu près son âge (il est né le 18 août 2011). 1605 à Nogent-le-Roi). Jeanne s’empressa de lui rendre visite. Le jeune homme lui parla de la Nouvelle-France. Il pouvait à peine contenir son émotion, car son frère cadet Jean, religieux de la Compagnie de Jésus, venait de s’embarquer pour les missions de la colonie. Nicolas informa également Jeanne que non seulement des hommes de Dieu courageux se précipitaient dans ces régions, mais que, depuis l’été 1639, des femmes et des religieuses de la société y débarquaient également, témoignant du même élan de foi et de la même intrépidité que leurs compagnes missionnaires. Il décrivit l’étonnante vocation de Mme de Chauvigny de La Peltrie et des Ursulines qu’elle fit venir en Nouvelle-France, ainsi que celle des Hospitalières de Saint-Augustin envoyées là-bas par la Duchesse d’Aiguillon. Dollier* de Casson, à qui l’on doit le récit de ces événements, nous assure que c’est à ce moment que Jeanne Mance ressentit pour la première fois le désir d’aller en Nouvelle-France.

Quelques jours se sont écoulés. Jeanne méditait et priait. Elle a décidé de consulter son directeur au sujet de son intention de naviguer pour l’Amérique. La Pentecôte approchait. Son directeur, encore inconnu, l’a exhortée à soumettre toutes ses aspirations à l’examen de l’Esprit Saint. Finalement, le prêtre l’autorisa à naviguer pour le Canada. Il fut convenu qu’elle partirait pour Paris le « mercredi après la Pentecôte; qu’elle y aille voir le père C Lalemant qui s’occupait des affaires canadiennes, qu’elle prenne comme directrice le recteur de la maison jésuite la plus proche de l’endroit où elle vivrait. »Elle a ensuite parlé à ses parents et amis de ses projets.

C’est le dernier jour de mai que Jeanne Mance quitte Langres. À Paris, elle se rend chez sa cousine, Mme de Bellevue (née Antoinette Dolebeau, seule sœur de Nicolas). Mme de Bellevue habitait le Faubourg Saint-Germain, non loin d’un autre de ses frères, le père Charles Dolebeau, carme déchaussé. Encouragée par la chaleur du sentiment qui lui est montré, Jeanne abandonne sa réserve. Elle a parlé de ses grandes aspirations missionnaires. Elle a également exécuté avec zèle et ponctualité le programme qui lui avait été tracé par son directeur à Langres. Elle se présente d’abord au couvent des jésuites de la rue du Pot-de-Fer (aujourd’hui Bonaparte). Elle a vu le père Charles Lalemant, procureur des missions canadiennes, qui s’est immédiatement intéressé à ses projets. Au couvent, Jeanne a également vu le père Jean-Baptiste Saint-Jure, que la Compagnie de Jésus, même à cette époque, considérait comme l’un de ses plus grands maîtres. Malheureusement, pendant plusieurs mois, il fut impossible pour le père Saint-Jure de la recevoir. Entre-temps, Jeanne s’est plongée dans la vie active de la charité menée par son cousin. Elle a fait de nombreuses connaissances. Entre autres, elle fut présentée à une grande dame parisienne, Mme de Villesavin (née Isabelle ou Isabeau Blondeau; épouse de Jean Phélypeaux, seigneur de Villesavin). Jeanne ne se doutait pas que dans quelques mois cette dame gracieuse lui rendrait un service remarquable. Car c’est Mme de Villesavin qui, un jour, protesta en entendant Jeanne regretter de ne pas avoir eu les conseils du père Saint-Jure sur son aptitude missionnaire. Elle a promis à Jeanne qu’elle plaiderait sa cause devant les religieux, et elle a obtenu gain de cause ; on a demandé à Jeanne d’aller au parloir aussi souvent qu’elle le jugeait bon. D’autres femmes importantes souhaitent faire la connaissance de Jeanne, notamment Charlotte-Marguerite de Montmorency, Princesse de Condé, épouse du chancelier Pierre Séguier, la Duchesse d’Aiguillon, la Marquise de Liancourt, Louise de Marillac et Marie Rousseau, la célèbre voyante parisienne. Enfin la reine elle-même, la pieuse Anne d’Autriche, exprima le désir de la voir.

Dollier de Casson nous informe qu' » un provincial des Récollets, un homme de grand mérite nommé père Rapin, vint à Paris ; comme elle le connaissait déjà, elle lui rendit visite et lui raconta comment les choses se passaient. » Le père Rapine était heureux de revoir Jeanne. Il a été touché par sa confiance en la Providence. Par conséquent, ayant approuvé sa décision d’aller au Canada et d’y travailler à la conversion des Indiens, il ajouta  » que c’était bien, qu’elle devait s’oublier ainsi, mais qu’il était bien que les autres prennent soin d’elle. » Quelques jours plus tard, le père Rapine lui écrit pour lui demander d’être assez bon pour aller à l’Hôtel de Bullion, rue Platrière. Là, Jeanne rencontra à nouveau le Père Rapine; il lui présente une dame distinguée et très riche, protectrice discrète mais généreuse de la majorité des œuvres caritatives françaises. Cette personne était Angélique Faure, veuve de Claude de Bullion, surintendant français des finances et cousine du père Rapine. Angélique Faure était la fille de Guichard Faure de Berlise, secrétaire du roi et maître ordinaire de Sa Majesté, et de Madeleine Brulart de Sillery; cette dernière était la sœur de Noël Brulart de Sillery, fondateur de la mission de Sillery au Canada, et de Nicolas, chancelier de France. De son union avec Claude de Bullion, Angélique avait eu cinq enfants.

Comme ces deux grandes femmes chrétiennes avaient fait une excellente première impression l’une sur l’autre, les visites de Jeanne à l’Hôtel de Bullion devinrent plus fréquentes. La quatrième fois, Mme de Bullion demanda à Jeanne Mance  » si elle ne consentirait pas à prendre en charge un hôpital dans le pays où elle se rendait, parce qu’elle se proposait d’en fonder un avec ce qui serait nécessaire à son entretien, et à ce titre elle aurait été très heureuse de savoir quelle dotation a été donnée à l’hôpital de Kebecq par Mad. Deguillon. »Jeanne a soulevé quelques objections, mais sans rejeter absolument le projet. Mme de Bullion lui demanda alors d’être assez bonne pour s’enquérir du coût approximatif de l’Hôtel-Dieu de Québec, car elle était prête à donner autant d’argent pour son hôpital, sinon plus. Jeanne accepta. La Duchesse d’Aiguillon, elle en fut informée, avait alloué à l’Hôtel-Dieu de Québec une somme de 22 000#, qu’elle porta un peu plus tard à un total de 40 500. Le cardinal de Richelieu, bien sûr, avait assumé la responsabilité d’une partie de ces dons. Pendant ce temps, Jeanne se rendit chez les jésuites et consulta le père Saint-Jure, pour savoir si elle devait accepter les offres qui lui étaient faites par Mme de Bullion.

Après avoir prié et médité, le père Saint-Jure répondit qu’elle devait aller au Canada,  » que c’était infailliblement Notre Seigneur qui voulait cette association  » avec la riche dame. Mme de Bullion était ravie de la décision de Jeanne. Elle demanda à Jeanne d’être sûre, à l’avenir, de garder le secret le plus complet sur tout ce qui la concernait, sur son nom, sa personne et les cadeaux qu’elle comptait faire. Jeanne, profondément émue par un tel désintéressement, entreprit de garder le silence. Lors de sa dernière visite à l’Hôtel de Bullion, elle reçut un sac à main et d’autres cadeaux coûteux.

En avril 1641, Jeanne prit congé de ses parents et amis et partit pour La Rochelle. À son arrivée, elle rencontre le jésuite Jacques de La Place, qui l’informe des merveilles qui accompagneront le voyage en Nouvelle-France. Le lendemain, Jeanne, en entrant dans l’église des Jésuites, passa devant un gentilhomme. Ils échangèrent un regard chargé d’une extraordinaire clairvoyance, car, selon les mots des Véritables motifs,  » à peine s’étaient-ils salués, sans jamais s’être vus ou entendus auparavant, qu’en un instant Dieu leur implanta une connaissance de leur moi intérieur et de leur dessein si claire, que, sur cette reconnaissance mutuelle, ils ne purent que remercier Dieu pour Ses faveurs. »

Ce personnage pieux, la quarantaine, était Jérôme Le Royer de La Dauversière, receveur de la taille à La Flèche, en Anjou, que Dieu avait inspiré avec le projet pour Montréal de la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1635. Depuis cette date, il avait élaboré son plan et obtenu l’approbation des jésuites, ses anciens maîtres au Collège de La Flèche. En 1639, ses efforts mènent à la fondation de la Société Notre-Dame de Montréal, dont les  » Associés  » acquièrent l’île de Montréal. Paul de Chomedey de Maisonneuve est choisi pour prendre en charge le nouveau poste.

M. de La Dauversière fit des appels urgents à Jeanne. Les associés de Montréal avaient besoin d’une personne de son genre, sage, pieuse, intelligente et résolue, comme économe et plus tard comme infirmière du contingent montréalais. M. de La Dauversière obtint son consentement dès qu’elle eut consulté par lettre d’abord le père Saint-Jure, puis Mme de Bullion. Jeanne devient alors membre de la Société Notre-Dame de Montréal.

Le 9 mai 1641, le contingent embarque sur deux navires. M. de Maisonneuve en a embarqué un avec une partie du contingent; le père jésuite de La Place, Jeanne Mance, et 12 hommes montèrent à bord du second. Mais avant que les voiles puissent être déployées, M. de La Dauversière conversa une dernière fois avec Jeanne. C’est alors qu’elle lui suggéra une extension de la Société de Montréal, qui apporterait, selon elle, le soutien indispensable à leurs efforts de colonisation. Elle propose à M. de La Dauversière de dresser par écrit les grandes lignes du  » projet de Montréal  » et de lui en remettre plusieurs exemplaires. Elle adressait alors des invitations à devenir membre de la Société de Montréal aux dames distinguées et généreuses et aux femmes pieuses avec lesquelles elle s’était associée à Paris, et joignait à chaque invitation un exemplaire du brouillon de M. de La Dauversière. M. de La Dauversière promit de distribuer les missives dès son arrivée à Paris.

Jeanne Mance débarqua à Québec au début du mois d’août, le huitième, nous dit Dollier de Casson, qui ajoute que  » le navire transportant Mademoiselle Mance n’a guère connu d’autre temps que calme, M. le de Maison-neufve a rencontré des tempêtes si violentes qu’il a dû remettre trois fois au port. » Le chef du contingent n’est apparemment arrivé à Tadoussac que le 20 septembre, alors que l’espoir de sa comparution cette année-là était abandonné.

L’opposition manifestée à Québec contre la fondation d’un poste à Montréal, qualifiée d' » entreprise téméraire « , consterna Jeanne Mance. Mais M. de Maisonneuve, une fois arrivé à destination et dûment averti de cette situation, décida de ne pas en tenir compte, bien qu’il le fit avec sa courtoisie habituelle. La fondation fut néanmoins reportée au printemps suivant en raison du retard de la saison. Jeanne passa l’hiver à Sillery avec M. de Maisonneuve, Mme de La Peltrie, qui lui témoignait une vive affection, et M. Pierre de Puiseaux de Montrénault. L’hiver est marqué par quelques conflits avec le gouverneur, Huault de Montmagny, qui au début n’est pas favorable au projet de fondation de Montréal. Devant la fermeté de M. de Maisonneuve, il finit par céder. Selon les Relations, la fondation de Montréal a eu lieu le 17 mai 1642. À cette date  » Monsieur le Gouverneur mit le sieur de Maison-neufve en possession de l’Île, au nom des Gentilshommes de Mont-real, afin d’y commencer les premiers bâtiments. »

La fondation de l’Hôtel-Dieu de Montréal a lieu à l’automne de la même année. Là encore, c’est un texte des Relations qui fixe la date: « De tous les Sauvages, il n’en restait qu’un seul, Pachirini, chez nous. . . il avait toujours souhaité vivre avec nous, avec deux autres patients, dans le petit hôpital que nous y avions érigé pour les blessés. »La construction de l’hôpital proprement dit n’a cependant eu lieu qu’en 1645.

En 1649, Jeanne était à Québec lorsque des lettres lui parvinrent de France. En les lisant, elle reçut, dit Dollier de Casson,  » trois coups de matraque. » Elle apprit d’eux d’abord la mort du père Rapine,  » qui avait l’habitude d’obtenir pour elle, de sa dame, tout ce qu’il fallait « , la dame étant Mme de Bullion. Elle fut également informée que M. de La Dauversière était gravement malade et était au bord de la ruine. Finalement, on lui dit que les Associés de Montréal s’étaient tous dispersés. Jeanne a décidé de partir au plus vite pour la France. Elle écrivit à M. de Maisonneuve, le familiarisa avec la situation difficile du poste de Montréal et l’informa de son embarquement immédiat.

À son retour un an plus tard, toutes les difficultés avaient été aplanies. M. de La Dauversière s’était complètement rétabli et se préoccupait avec zèle des intérêts de Montréal. La Société de Montréal renaît sous la direction de Jean-Jacques Olier, l’un de ses fondateurs. Enfin, Mme de Bullion, admirablement disposée comme jamais à l’égard de Montréal et de son hôpital, avait convenu avec Jeanne d’un nouveau mode de communication qui lui permettrait de ne pas divulguer son nom.

Mais à partir du printemps 1651, la lutte contre les Iroquois devient de plus en plus sanglante et récurrente.  » Les Iroquois, écrit Dollier de Casson, n’ont plus d’atrocités à commettre. . . parce qu’il n’y avait plus de Hurons à détruire,. . . tournèrent leur attention vers l’île de Montréal. . . ; il n’y a pas un mois en cet été où notre livre des morts n’a pas été taché en lettres rouges par les mains des Iroquois. » Jeanne Mance dut fermer l’hôpital et se réfugier dans le fort. Tous les colons ont fait de même. Sur les sites abandonnés, il fallait mettre des garnisons ;  » nous devenions moins nombreux chaque jour « , ajoutait Dollier de Casson.

À la fin de l’été de 1651 M. de Maisonneuve, découragé, et même profondément affligé à la vue des colons qu’il aimait et qu’il avait entrepris de protéger en tombant continuellement autour de lui, résolut de mettre fin à ce massacre à tout prix. Il était clair qu’ils connaîtraient tous le même sort tôt ou tard. Il se rendrait en France et tenterait d’obtenir de l’aide afin de ramener un bon nombre de soldats à Ville-Marie. Sinon, s’il ne parvenait pas à obtenir l’appui des Associés de Montréal, il abandonnerait l’entreprise et ordonnerait aux colons de rentrer en France.

C’est alors que Jeanne est intervenue. Sa confiance en la Providence lui avait soudainement révélé le chemin à suivre pour venir en aide à tous. Elle se rendit chez M. de Maisonneuve et lui dit :  » elle lui conseilla d’aller en France, que la fondatrice lui avait donné pour l’hôpital 22 000#, qui se trouvaient à un certain endroit qu’elle lui avait indiqué – et qu’elle lui donnerait l’argent pour qu’il puisse obtenir de l’aide. » M. de Maisonneuve a accepté la proposition de principe. Avant de prendre une décision finale, il voulait prier, méditer et consulter les aumôniers. Il réfléchissait aussi à la manière d’indemniser Mme de Bullion pour la perte du capital qu’elle mettait à sa disposition. Il s’embarqua pour la France quelques semaines plus tard, non sans un certain espoir. Sur ses conseils au gouverneur, Jeanne Mance venait de sauver Montréal, car M. de Maisonneuve revenait avec son aide.

Quelques années plus tard, le 28 janvier. 1657, alors qu’elle revenait de la messe, Jeanne Mance tomba sur la glace, se fractura le bras droit et se disloqua le poignet. Cette chute a eu de graves conséquences. Les médecins ont réussi à régler la fracture, mais ils n’ont pas remarqué l’état du poignet; bien que guérie, Jeanne était incapable d’utiliser son bras. En raison de cette infirmité, elle a dû envisager de se faire remplacer à la tête de l’hôpital. Elle attendit cependant le retour de M. de Maisonneuve, qui était reparti pour la France en 1655. Il ne devait revenir qu’à la fin de juillet 1657, avec le premier clergé paroissial de Ville-Marie, qui serait composé de trois sulpiciens sous la direction de l’abbé Queylus. Mais par malheur, M. Olier, qui avait lui-même choisi ces quatre missionnaires, est décédé quelques jours seulement avant l’embarquement des prêtres. Jeanne, qui n’avait pas perdu de temps à consulter M. de Maisonneuve à son arrivée, dut reporter son voyage en France à l’année suivante. Son état de santé laissait beaucoup à désirer. Elle partit à l’automne de 1658 avec Marguerite Bourgeoys, devenue sa fidèle amie. M. de Queylus avait profité du départ imminent de Jeanne Mance pour envoyer chercher deux Hospitalières de Québec. Ceci était conforme à une promesse qu’il avait faite aux Hospitaliers de Québec, de leur confier la gestion de l’hôpital de Montréal. Les religieuses de Québec furent cependant obligées de retourner dans leur couvent lorsque Jeanne Mance revint avec les Hospitalières de La Flèche.

En France, Jeanne a dû faire le voyage de La Rochelle à La Flèche sur une civière. Son bras lui faisait une douleur terrible. Avec M. de La Dauversière, elle prit toutes les dispositions nécessaires, afin qu’elle puisse bientôt ramener en Nouvelle-France les trois Hospitaliers de Saint-Joseph qu’il choisirait lui-même. Elle lui avoua son espoir d’obtenir des fonds de Mme de Bullion pour l’aider à établir ces religieuses à Montréal. Son succès était partout complet, et à cela s’est même ajouté un incident considéré comme miraculeux. Dans la chapelle des Sulpiciens, elle avait placé la relique du cœur de M. Olier sur son bras blessé, et en avait récupéré l’usage. Elle s’embarque de nouveau pour la Nouvelle-France avec les mères Judith Moreau de Brésiliens, Catherine Macé et Marie Maillet, et arrive dans la colonie le 7 septembre. 1659. Marguerite Bourgeoys, avec quelques compagnes, était sur le navire. M. de La Dauversière, qui était allé à La Rochelle, donna à toutes les femmes une dernière bénédiction. L’un de ses souhaits les plus chers était en train de se réaliser.

En 1662, Jeanne fait son dernier voyage en France. À cette occasion, un événement de grande importance devait être supervisé : le remplacement de la Société Notre-Dame de Montréal, qui s’était retirée, par la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice, qui devenait seigneur et propriétaire de l’île de Montréal. La Société de Montréal était en voie de dissolution, et d’ailleurs M. de La Dauversière, infatigable fondateur et bienfaiteur providentiel de Ville-Marie, n’était plus là pour faire passer les Associés à l’action. Il était décédé le 6 novembre. 1659. Jeanne revint à Montréal en 1664.

À partir de 1663, le gouvernement de la Nouvelle-France connaît de grands changements. Louis XIV avait insisté pour guider personnellement les destinées de son établissement d’outre-mer. En premier lieu, il s’était préoccupé de faire tomber les Iroquois. Mais depuis 1665, Ville-Marie était plongée dans la plus profonde affliction. On avait demandé à M. de Maisonneuve de rentrer en France en congé pour une durée indéterminée. On n’avait pas tenu compte de ses 24 années de service incomparables. Il avait accepté cette décision héroïquement et il quitta la Nouvelle-France à l’automne de 1665. Bientôt, Jeanne Mance, elle aussi, se heurta à l’incapacité des autorités qu’elle vénérait de comprendre ses actes de délivrance des jours précédents. Toujours courageuse et résignée, elle a mené sa tâche jusqu’au bout. Son dernier acte administratif date de janvier 1673. Elle mourut le 18 juin 1673  » en odeur de sainteté « , affirmait Mère Juchereau* de Saint-Ignace dans ses Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec.

Une petite photo signée L. Dugardin, conservé à l’Hôtel-Dieu de Montréal, semble représenter le vrai visage de Jeanne Mance. On peut en tout cas lire au dos de l’œuvre :  » Copie authentique du portrait de Mademoiselle Mance. » Cette inscription a été identifiée comme étant probablement de la main de Sœur Joséphine Paquet, archiviste de l’Hôtel-Dieu de 1870 à 1889.

Marie-Claire Daveluy

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