Le peuple d’Israël est fraîchement sorti de l’espace liminal du désert.
Quarante ans d’errance derrière eux. Une génération est venue et est partie. Ils sont maintenant à l’intérieur — mais juste à l’intérieur – de la terre promise. Campé à Guilgal. Avec le seuil libérateur qu’était la traversée de la mer Rouge, Dieu a fait sortir leurs parents d’Égypte, de l’esclavage. Maintenant, ils ont franchi le seuil du Jourdain pour entrer dans la terre promise. Peu importe que le Jourdain ne soit qu’un ruisseau, comme les eaux de la Mer Rouge ont été levées par le Seigneur, de même que les eaux du Jourdain.1 L’errance du désert, qui a commencé par un exode, se termine maintenant par un eisodos.
Les gens qui entrent avec Josué dans la terre promise sont les enfants de ceux qui ont quitté l’Égypte. Leurs pères sont morts.2 De peur que le lecteur ne s’affole de cette sorte de retour au pays, ceux qui ont quitté l’Égypte et leur progéniture, les enfants du désert, n’étaient pas aussi purs. Rappelez-vous les histoires du désert, des gémissements, des veaux dorés, etc. Rappelez-vous les paroles de Jérémie qui accompagnent la promesse du Seigneur de faire une nouvelle alliance: » not pas comme l’alliance que j’ai faite avec leurs ancêtres quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte, mon alliance qu’ils ont rompue3″3 Comme pendentifs de leur injustice, ces enfants du désert sont entrés incirconcis dans la terre promise.
Cela ne suffirait pas. Le Seigneur a dit à Josué de les faire circoncire, et avec cette procédure de masse, la génération du désert, comme celles du temps d’Abraham, portait la marque de l’alliance entre le Seigneur et le peuple.4 De Gibeath-haaraloth (la colline des prépuces), 5 les nouveaux circoncis retournèrent dans la communauté campée à Guilgal pour guérir. Le premier verset (Josué 5:9) dessine l’épisode de la circoncision (vv.2-9) pour conclure avec une explication ætiologique du nom du lieu — Guilgal. C’est le lieu où le Seigneur « a retiré l’opprobre de l’Égypte » du peuple.
Le mouvement hors de la liminalité du désert est rituellement marqué. La génération du désert était maintenant arrivée à l’âge adulte. Ce qui a fait place à la célébration de la Pâque.
Avec la traversée du Jourdain et le retour à l’alignement d’alliance (circoncision), la célébration de la Pâque marque également ce mouvement vers la terre promise. Peut-être le deutéronomiste résonne-t-il le plus clairement: « Et tu offriras le sacrifice de Pâque à l’Éternel, ton Dieu, du troupeau ou du troupeau, au lieu que l’Éternel choisira, pour y faire habiter son nom. »6
Avec leur entrée dans la terre promise et la circoncision de la génération du désert et la célébration de la Pâque vint aussi la cessation de la manne. La liminalité de l’errance sauvage était officiellement terminée. Les gens étaient arrivés. La manne n’était plus nécessaire. Le fruit de la terre promise serait maintenant fourni. Le Seigneur est revenu pour créer des moyens de subvenir aux besoins des Israélites. La terre ferait naître. Les Israélites ont débarqué, pour ainsi dire.
Le verset final de la péricope: « Et la manne cessa le jour où ils mangèrent les produits du pays, et les Israélites n’avaient plus de manne; ils mangèrent les récoltes du pays de Canaan cette année-là. » (v.12) Ce texte est gênant. Cultures plantées par la main de qui? Par le travail de qui?
Avec la traversée d’un ruisseau, les Israélites sont des conquérants. Terre. Produire. Fruits. Population.
Les nations pour lesquelles c’est la maison doivent être expulsées. Dépossédés des terres promises aux autres. Le Seigneur promet de chasser les habitants.7 La trajectoire de l’exode est eisodos.
Horizons de prédication
C’est un texte important — un point critique dans le récit. C’est l’accomplissement d’une promesse. Le mouvement de la liminalité du désert vers la terre promise. Le signe de l’alliance est rétabli. Le commandement de célébrer la Pâque est accompli. La fourniture temporaire de manne s’est avérée vraiment temporaire, ce dont il aurait été difficile de convaincre n’importe quel Israélite lors de leur buffet sauvage incroyablement prévisible.
Dans le contexte de notre monde contemporain, qui reste celui de Dieu, ce texte en lui-même est plutôt laid. L’État contemporain d’Israël et le peuple palestinien occupé sont plus qu’une feuille narrative à l’entrée de Josué dans la terre promise. Cette situation, qui a des gens de chair et de sang créés à l’image de Dieu des deux côtés du mur, est-elle l’accomplissement moderne de la promesse du Seigneur? Bien que distinctif, le conflit israélo-palestinien n’est pas unique. Il y a une tendance humaine laide à se murer, à se murer, à expulser, à séparer et à déposséder. Nous devons toujours nous souvenir de l’observation de Pascal: « Les hommes (sic) ne font jamais le mal aussi complètement et joyeusement que lorsqu’ils le font par conviction religieuse. »8
De nos jours, cette rhétorique est d’une banalité troublante, surtout en Amérique du Nord, et particulièrement dans la campagne présidentielle américaine. Instiller la peur de « l’autre » est une stratégie. Une réalité froide et dure est que les deux parties participent.
Vous, cher lecteur, pensez peut-être que je me suis éloigné du texte. Je ne peux pas me lever et prêcher ça. Qu’est-ce que cela a à voir avec le Carême? J’entends votre hésitation, cher prédicateur, mais pensez néanmoins à prêcher ce texte.
Considérez les accents pénitentiels et pédagogiques du Carême. Qu’est-ce que cela pourrait signifier pour les gens d’entendre à nouveau l’histoire de l’Exode et des Eisodos avec ses ambiguïtés et ses complexités? Qu’est-ce que cela pourrait signifier pour les gens de considérer ce texte à la lumière de la réconciliation de toutes choses, Écriture incluse, à Dieu par la croix du Christ (Colossiens 1:19-20)? Qu’est-ce que cela pourrait signifier d’explorer ce texte en relation avec la rencontre dynamique entre Jésus et la femme cananéenne en quête de guérison pour sa fille (Matthieu 15:22-28)?
Le passage de la liminalité du désert à l’occupation de la Terre promise est rempli à la fois de promesses et de problèmes. La fidélité de Dieu à l’alliance de Dieu avec Israël, en dépit du fait qu’ils ont été une douleur en arrière depuis la mer Rouge, demeure.
Notes:
1 » Car l’Éternel, ton Dieu, a asséché pour toi les eaux du Jourdain jusqu’à ce que tu passes, comme l’Éternel, ton Dieu, l’a fait pour la Mer Rouge, qu’il a asséchée pour nous jusqu’à ce que nous passions, afin que tous les peuples de la terre sachent que la main de l’Éternel est puissante, afin que tu craignes l’Éternel, ton Dieu, pour toujours. » Josué 4:23-24
2 Cf. Josué 5:4
3 Jérémie 31:32
4 Rappelez-vous Genèse 17:9-14.
5 Il y a une résonance notable avec le rituel de circoncision masculine adulte, Ukwaluka, par lequel les jeunes hommes Xhosa en Afrique du Sud passent de l’enfance à la virilité. Entre autres, Nelson Mandela décrit cette propre expérience de ce jeune homme, Long Walk to Freedom (Little, Brown, and Company, 1994) 22-25.
6 Deutéronome 16:2. Aussi, Exode 12:14-20, Lévitique 23:5-8, Ézéchiel 45:21. Il convient également de noter que le Seigneur ordonne aux Israélites de ne pas célébrer la Pâque dans les villes (par exemple, Jéricho) que le Seigneur leur donnera, mais à l’endroit (c’est-à-dire Guilgal) que le Seigneur choisit. (Deutéronome 16:5-6). Un tel choix était également le cas pour les Israélites dans le désert du Sinaï. (Chiffres 9.1-14)
7 Deutéronome 7:1, Josué 3:10.
8 « Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que quand on le fait par consceince. » Blaise Pascal, Pensées, 14.895.