Et pour cause: leurs auteurs sont en partie les mêmes que ceux qui ont publié la fameuse étude sur l’hydroxychloroquine retirée au printemps de la revue scientifique britannique The Lancet. Elles utilisent des données médicales provenant de la mystérieuse et controversée société Surgisphère qui n’a jamais voulu expliquer d’où venaient ses données hospitalières.
Un groupe de médecins américains …
Plus récemment, deux éléments ont aussi contribué à faire parler de l’ivermectine.
Son efficacité est régulièrement présentée comme avérée par un groupe de médecins appelé « Front line COVID-19 Critical Care Alliance » (FLCCC).
Sa figure de proue est le Dr Pierre Kory, qui a décrit le 8 décembre devant une commission du Sénat américain l’ivermectine comme un « médicament miracle » contre le Covid-19.
Il affirme notamment que les études récentes « fournissent des données concluantes sur la profonde efficacité » de l’ivermectine « à toutes les étapes de la maladie ».
… et un chercheur britannique
Certains articles de presse (En Afrique du Sud , en République dominicaine ou au Royaume-Uni… ) ont aussi récemment relayé une « étude » d’un chercheur de l’Université de Liverpool, Andrew Hill, citant des chiffres apparemment impressionnants, notamment une baisse de la mortalité de 83% grâce à l’ivermectine.
En réalité, c’est bien plus compliqué.
Ces éléments viennent d’une présentation par ce scientifique britannique faite lors d’un atelier en ligne consacré au « potentiel » de l’ivermectine contre le Covid-19, organisé par l’entreprise pharmaceutique française Medincell, qui travaille sur une version injectable de l’ivermectine.
Elle a publié le 17 décembre un communiqué concernant la sécurité de l’injection d’ivermectine.
Parmi les nombreux intervenants de cet « atelier », on retrouve d’ailleurs le Dr Pierre Kory, mentionné plus haut dans cet article, et qui y redit à quel point, selon lui, l’ivermectine a prouvé son « incroyable efficacité ».
Dans sa présentation, Andrew Hill présente les résultats préliminaires d’une méta-analyse sur l’ivermectine, c’est-à-dire une revue de la littérature scientifique déjà disponible, en l’occurrence y compris des travaux non encore publiés dans une revue scientifique.
On note en bas de ses documents de présentation les logos de l’University of Liverpool mais aussi d’ACTaccelerator et de l’UNITAID, une organisation internationale partenaire de l’ONU et chargée d’acheter des médicaments pour les pays pauvres.
« L’Université de Liverpool, soutenue par UNITAID, examine les données qui émergent actuellement d’études en cours évaluant le potentiel de l’ivermectine contre le Covid-19 », a en effet expliqué un porte-parole de UNITAID dans un mail à l’AFP le 7 janvier 2021.
« Cela sert à alimenter le travail du programme ACT-Accelerator Therapeutics Pillar, qui recense les médicaments nouveaux ou déjà existants contre le Covid-19, de façon à anticiper les défis possibles pour les rendre disponibles à grande échelle, au cas où ils seraient recommandés » contre le coronavirus, a-t-il ajouté.
« Les données préliminaires sont prometteuses mais il faut attendre les résultats d’autres essais avant d’aller plus loin », a-t-il encore dit.
L’organisation a de nouveau publié une déclaration, similaire sur le fond, envoyée à l’AFP le 2 février, « dans le but d’éviter la désinformation » sur le sujet.
« L’ivermectine, de même que d’autres produits repositionnés, a été évoquée comme traitement potentiel contre le Covid-19, sur la base d’éléments prélimaires prometteurs. D’autres données sont nécessaires pour élaborer une recommandation définitive pour ou contre son usage dans le cadre du Covid », a écrit UNITAID.
« Dans les semaines qui viennent, les résultats de nouveaux essais dans d’autres pays sont attendus et une analyse approfondie sera menée par l’OMS pour déterminer les étapes suivantes, notamment le possible besoin de nouveaux essais cliniques ciblés », est-il encore précisé.
Interrogé par l’AFP, Andrew Hill avait bien confirmé par écrit le 12 janvier que ce travail « a été financé par UNITAID, dans le cadre du programme ACT Accelerator pour les traitements COVID-19 », et que Medincell en revanche, ne l’avait pas financé.
Cette présentation n’avait pas vocation à être rendue publique, a expliqué le 12 janvier dans un mail à l’AFP un porte-parole de Medincell, précisant que l’atelier en ligne était « ouvert uniquement aux professionnels (180 personnes ont participé : chercheurs, praticiens, ONG et fondation) ».
La vidéo de la présentation est disponible sur le site internet de Medincell comme les autres présentations de l’atelier. Malgré la mention sur le site « Ne pas publier sans l’autorisation de l’entreprise », celle d’Andrew Hill a néanmoins été partagée sur YouTube, par exemple via ce compte : cette version a cumulé plus de 80.000 vuesation depuis le 27 décembre.
Dans sa présentation, Andrew Hill cite des résultats d’une dizaine d’essais portant sur environ 1.500 patients. C’est à partir de quatre essais menés au Bangladesh, en Egypte, en Iran et en Irak qu’il a calculé une moyenne d’amélioration de la mortalité de « 83% » car 8 patients sur 573 sont décédés dans les groupes sous ivermectine (5%) et 44 sur 510 (17%) dans les groupes de contrôle.
Sauf que comme comme on le voit dans ce tableau du groupe Metaevidence de l’université et du CHU de Lyon, qui récapitule les travaux scientifiques sur les traitements et relève les limites de chaque étude, les essais agrégés par Andrew ont de très fortes limites.
Par exemple, l’essai irakien Hashim est une prépublication aux résultats « non concluants » car les résultats n’étaient pas statistiquement significatifs.
Autre exemple, l’essai iranien Niaee « suggère » (et non pas « démontre ») une baisse de 86% de mortalité mais « avec un faible degré de certitude » en raison du nombre élevé de biais.
D’ailleurs, si Andrew Hill estime avoir globalement vu des résultats encourageants en examinant différents essais sur l’ivermectine, il dit lui-même en fin de vidéo (11’18) qu’il « nous faut plus d’essais cliniques pour confirmer les bénéfices cliniques observés dans les 11 essais randomisés ».
Il liste lui-même ci-dessous les limites des essais disponibles et la difficulté à les comparer entre eux car trop différents (doses et durées différentes par exemple).
Andrew Hill a indiqué à l’AFP qu’il rendrait publique « dans les prochains jours » une analyse « plus détaillée » des données disponibles.
Il a en effet rendu public son travail le 19 janvier sur une plateforme de mise en ligne de pré-publications. Il y indique que sur la base de 18 essais portant sur 2.282 patients, l’ivermectine est « associée » à des données favorables, en termes de réduction des marqueurs d’inflammation, de la charge virale et de la durée d’hospitalisation. Il a également calculé, à partir de 6 essais différents, une réduction de 75% de la mortalité.
Il pointe néanmoins à plusieurs reprises dans son texte les limites de sa méta-analyse, notamment parce que les essais étudiés manquent de « comparabilité ».
« Beaucoup d’études incluses n’ont pas été relues par des pairs et les méta-analyses sont enclines à des problèmes de confusion des variables . L’ivermectine devrait être validée dans de plus vastes essais randomisés et correctement contrôlés avant que les résultats soient suffisants pour qu’ils soient soumis aux autorités de régulation », écrit le chercheur.
De plus, comme en témoigne le nouveau communiqué de UNITAID du 2 février mentionné plus haut, la mise à disposition de ces travaux n’a pour l’heure pas modifié la position de UNITAID.
Pour sa part, Medincell estime que « les travaux et les études s’accumulent quant à une potentielle activité de l’ivermectine. Beaucoup d’études en cours ou terminées reposent sur des protocoles discutables. Mais leurs conclusions tendent toutes à valider l’efficacité de la molécule, notamment prophylactique » (en prévention), « même si aucune conclusion définitive n’est possible à ce jour ».
Des essais et études de « faible qualité » qui ne permettent pas de conclure
« La plupart des études cliniques publiées récemment sur le sujet sont peu concluantes, la grande majorité sont soit des prépublications non validées par leurs pairs soit, quand elles sont publiées, des études ayant des biais méthodologiques rendant les résultats difficilement interprétables et ne permettant pas de tirer des conclusions », résume la SFPT.
« Par exemple, l’étude de Radji et al. publiée dans CHEST retrouve une mortalité plus faible chez des patients atteints du SARS-CoV-2 et traités par ivermectine en comparaison à des sujets non traités » mais on relève « l’absence de similarité entre les deux groupes » en terme de traitement reçu et de date d’inclusion dans l’étude, poursuit l’organisation.
La SFPT note aussi que d’autres méta-analyses, comme celle-ci, ont conclu à des niveaux de preuve « très bas » des résultats des études.
Ce qu’a aussi expliqué à l’AFP au téléphone le 7 janvier 2021, le professeur Kim Woo-joo, professeur au département des maladies infectieuses de l’hôpital universitaire de Corée à Séoul.
« Si vous voulez être sûr à 100% de l’efficacité d’un médicament, il faut des résultats essais randomisés contrôlés de plus grande ampleur », a-t-il indiqué.
« L’ivermectine est un médicament antiparasitaire qui n’est actuellement approuvé dans le traitement d’aucune infection virale, y compris l’infection à SARS-CoV-2. La question de sa dose efficace n’est pas résolue, tout comme son positionnement thérapeutique et/ou prophylactique. A ce jour, l’ivermectine n’est donc pas encore recommandée pour le traitement ou la prévention de la Covid-19 en dehors du cadre d’un essai clinique. Plusieurs essais sont justement en cours pour répondre à toutes ces questions », conclut l’Inserm.
En conclusion, il est trompeur d’affirmer que l’ivermectine est efficace contre le Covid car les données ne l’établissent pas à ce jour.
Mise à jour 22/01/2021: ajoute la mise en ligne de la méta-analyse d'Andrew Hill ainsi que les recommandations des National Institutes of Health aux Etats-UnisMise à jour 26/01/2021: ajoute les éléments de l'Inserm Mise à jour le 02/02/2021: ajoute nouvelle déclaration de UNITAID