Comme le montre la récente exposition à Melbourne de souvenirs napoléoniens, le petit Corse devenu Empereur des Français reste l’un des personnages les plus fascinants de tous les temps. Depuis sa mort, en 1821, il y a eu plus de livres publiés sur lui que de jours se sont écoulés. Pourtant, il y a peut-être encore des aspects de la saga napoléonienne qui restent inexplorés. En particulier, les microbes minuscules Chlamydia trachomatis ou Neisseria gonorrhoeae pourraient-ils avoir joué un rôle encore non reconnu dans les événements qui ont secoué l’Europe au début du XIXe siècle?
Un portrait par Gros de la première impératrice de Napoléon, Joséphine, est accroché à sa maison, Malmaison, autrefois résidence de campagne, aujourd’hui entourée par la banlieue dortoir de Paris. Sur fond classique, Madame Bonaparte affiche une peau impeccable et des cheveux soyeux avec des boucles crachées de chaque côté de son front. Son expression est de bonne humeur, mais réfléchie, la bouche bien fermée: comme beaucoup de femmes de l’époque, avant l’orthodontie et l’anesthésie, elle avait des problèmes avec ses dents, qui étaient cariées ou absentes, de sorte que lorsqu’elle parlait, elle se couvrait joliment la bouche avec ses mains. Sa voix était dite basse et musicale; bien qu’elle ait vécu presque toute sa vie d’adulte en France, elle n’a jamais perdu l’accent créole de sa Martinique natale.
À la fin de sa vie, Bonaparte écrivit d’elle : » Elle était la créature la plus séduisante et la plus glamour que j’aie jamais connue. Une femme au sens le plus complet du terme – changeante, fougueuse et au cœur le plus gentil. Pourtant, 13 ans après leur mariage, il divorce d’elle et épouse Marie-Louise, 18 ans, fille de l’empereur d’Autriche. « Le divorce, écrit-il, est devenu un devoir sévère pour moi. » Admirée et aimée si Joséphine soit-elle, elle n’avait pas réussi à donner à son mari un héritier.
Étonnamment, cependant, au moment du divorce, Joséphine et Napoléon ont eu entre eux plusieurs enfants. Joséphine était la mère d’un fils, Eugène, et d’une fille, Hortense, les beaux-enfants de Napoléon et toujours traitée avec beaucoup d’affection par lui. En 1806, la maîtresse de Napoléon, Éléonore Denuelle, avait donné naissance à un fils et, en 1809, un autre garçon était né, de la patriote polonaise Marie Waleska, avec laquelle Napoléon avait eu une liaison pendant sa campagne de Pologne. C’est simplement que Napoléon et Joséphine n’ont pas pu concevoir un enfant ensemble. D’après son histoire, il semble probable que l’infertilité secondaire de Joséphine était due à des facteurs tubaires, acquis après les naissances des enfants lors de son premier mariage et pendant les années turbulentes de la Révolution française.
Elle est née Marie-Josephe-Rose de la Pagerie en 1763, dans une famille de producteurs de sucre et de propriétaires d’esclaves indolents et appauvris qui appréciaient leurs liens avec l’aristocratie française. À l’âge de 15 ans, après une petite éducation formelle, elle se rend en France pour un mariage arrangé avec le vicomte Alexandre de Beauharnais, âgé de 17 ans. L’union fut un désastre dès le début ; Alexandre avait une maîtresse beaucoup plus âgée à qui il était dévoué, et envoya bientôt sa jeune femme dans un couvent. Néanmoins, elle a eu deux enfants avec lui dans les trois premières années du mariage, à la fois des grossesses normales et des naissances. Peu de temps après la deuxième naissance, lassée des errances de son mari et de plus en plus avertie du monde, elle se trouva un avocat et arrangea une séparation qui lui donna un revenu et une vie confortable, probablement avec l’attention de plusieurs amants.
Tout cela a changé avec l’arrivée de la Révolution en 1789. Alexandre est d’abord un partisan, l’un de ceux qui se réunissent à Versailles en juin 1789 et créent la première Assemblée nationale. Il rejoint l’armée et participe aux campagnes contre l’Autriche et la Prusse. Cependant, en 1793, il avait attiré le mécontentement de Robespierre et, en juillet 1794, il fut conduit à la guillotine. En avril de la même année, Joséphine, comme son épouse, a également été emprisonnée; l’emprisonnement signifiait une incarcération plutôt sociale avec d’autres membres de l’aristocratie, et on sait qu’à cette époque, Joséphine avait une courte liaison avec le général Lazare Hoche.
Sauvée du même sort qu’Alexandre par la chute de Robespierre à la mi-1794, elle surgit dans un Paris se jetant dans une recherche effrénée de plaisir, considérée comme une conséquence nécessaire de l’austérité de la Révolution. Son problème immédiat était de savoir comment survivre elle-même et subvenir aux besoins de ses enfants dans ces nouvelles conditions. En 1795, le Directoire remplace la Convention (qui avait remplacé l’Assemblée nationale) ; par l’intermédiaire d’une amie, Joséphine rencontre Paul Barras, le plus puissant des Directeurs, et devient bientôt sa maîtresse. Fin 1795, lors d’un dîner qu’elle organise chez Barras, elle rencontre Napoléon Bonaparte. Elle avait 32 ans, lui 26.
Il était déterminé à l’épouser ; il voulait se marier depuis un certain temps, et croyait maintenant avoir trouvé la bonne personne. Elle n’était pas immédiatement amoureuse de lui, mais le mariage lui procurait certains avantages financiers et elle le trouvait « amusant ». Barras soutint la proposition et offrit à Napoléon, en cadeau de mariage, le commandement de l’Armée des Alpes, pour combattre l’Autriche et le Piémont en Italie. Une cérémonie civile eut lieu en mars 1796. Napoléon, avec ses origines corses, aurait certainement voulu des enfants le plus tôt possible, et, observant sans doute les enfants polis et en bonne santé de son premier mariage, était sûr que Joséphine lui fournirait bientôt plusieurs beaux fils.
Ses campagnes en Italie furent un immense succès (du moins pour les Français) et il envoya chercher Joséphine pour le rejoindre là-bas, ce qu’elle finit par faire, bien qu’elle se soit entretenue un temps avec un jeune lieutenant, Hippolyte Charles. Cependant, à partir de ce moment, alors que Naploeon accédait au pouvoir politique et militaire, il semble qu’elle s’attacha de plus en plus sincèrement à lui, et de plus en plus anxieuse car elle ne parvenait pas à concevoir la progéniture désirée. Avec les connaissances actuelles de la pathologie pelvienne, il semble très plausible qu’entre la naissance d’Hortense, en 1783, et son mariage avec Bonaparte, en 1796, Joséphine ait contracté soit une chlamydia, soit une gonorrhée, très probablement sous-clinique, et ait développé une salpingite avec infertilité ultérieure.
La gonorrhée est l’une des maladies humaines les plus anciennes connues; il y a des références à la maladie dans les anciens écrits chinois, la Bible et les œuvres de Galien, bien que le gonocoque lui-même n’ait été identifié que bien après la mort de Joséphine, par le dermatologue allemand Neisser, en 1879. Les infections sexuellement transmissibles (IST) à chlamydia existent probablement depuis aussi longtemps, même si l’organisme responsable n’a été pleinement reconnu qu’en 1965. Les traitements efficaces pour les deux affections étaient bien sûr complètement inconnus des médecins du vivant de Joséphine.
Le ton des lettres de Joséphine au milieu de son mariage, et les descriptions des temps, suggèrent d’anticiper les périodes manquées qui arrivaient en fait, et elle demanda bientôt de l’aide médicale, d’abord de son propre médecin, Martinet, puis de celui de Napoléon, Joseph Corvisart. C’est Corvisart qui lui conseille de visiter la ville thermale de Plombières, ce qu’elle fait d’abord en 1798, et plusieurs fois plus tard. Une visite à Plombières s’était avérée fructueuse pour sa belle-sœur Julie, qui avait conçu une fille après six ans d’infertilité. Cependant, aucune quantité de bains et de douches n’améliora les perspectives de conception de Joséphine.
Pendant ce temps, Napoléon, à la suite de la désastreuse campagne d’Égypte, fin 1799, participe au coup d’État de Paris qui force la démission du Directoire et la nomination d’un consulat à trois hommes ; Napoléon devient lui-même le plus puissant de ces Consuls. Par ses manœuvres politiques et ses talents militaires, il se rend virtuellement maître de la France et procède à l’imposition d’une dictature qui consolide néanmoins bon nombre des acquis de la Révolution. En 1804, après plusieurs tentatives sur sa vie, Napoléon est proclamé empereur héréditaire des Français, et Joséphine son Impératrice, pour supprimer toute possibilité de changement de régime par assassinat. Cependant, l’absence d’héritier signifiait que la question de la succession restait sans réponse et Joséphine devenait de plus en plus désespérée dans sa recherche d’un remède à son problème.
Napoléon avait spectaculairement vaincu les Autrichiens à Marengo en 1800, ce qui l’avait rendu extrêmement populaire en France. Cependant, la guerre se poursuivit par intermittence avec les Britanniques qui formèrent une nouvelle alliance avec les Autrichiens, la Russie, la Suède et Naples. La Grande-Bretagne remporta une grande victoire en mer en 1805, mais ailleurs, les armées françaises réussirent et une paix difficile fut établie avec les Autrichiens. Le tsar russe Alexandre Ier, fatigué de l’alliance avec les Britanniques, rencontra Napoléon à Tilsit, à la frontière russo-prussienne, en 1807, et les deux hommes partagèrent l’Europe entre eux, Napoléon prenant l’ouest et Alexandre l’est. Dans les années suivantes cependant, la relation s’est aigrie; Napoléon abandonna ses plans pour tenter d’épouser la sœur cadette d’Alexandre et, à la place, après son divorce d’avec Joséphine, épousa Marie-Louise. Un an plus tard, un fils, connu sous le nom de roi de Rome, est né. Se sentant plus confiant dans ses relations avec les Autrichiens et d’autres alliés temporaires, Napoléon, au printemps de 1812, prit la décision de marcher sur Moscou, pour régler Alexandre une fois pour toutes. Avec près d’un demi-million d’hommes, il partit vers l’est. Rencontrant les Russes à Borodino, la bataille (son 200e anniversaire étant célébré cette année) n’a pas été décisive et les deux camps ont subi d’énormes pertes, encore aggravées par la retraite éventuelle des armées d’invasion de Moscou à l’hiver 1812. Les Autrichiens et d’autres retirèrent leur soutien et les Français eux-mêmes, malgré tout leur courage, avaient perdu leur ancien enthousiasme pour les idées de conquête de leur empereur.
Joséphine et Napoléon: la grande passion était à eux, mais pas d’enfants. Une ITS aurait-elle pu être à blâmer?
La Guerre se poursuit jusqu’en 1813 et, en octobre, la Grande Armée française est défaite à la bataille de Leipzig. Les Britanniques ont fait pression depuis l’Espagne et en Italie, les Autrichiens ont pris l’offensive. Ces alliés entrèrent dans Paris au début de 1814 et, en avril, Napoléon abdiqua. Banni à l’Île d’Elbe, il revint en 1815 pour les Cent-Jours, dans le but de renverser la Restauration des Bourbons, un régime impopulaire dès le début auprès des Français, mais sa défaite à Waterloo entraîna un exil permanent à Sainte-Hélène.
Marie-Louise a refusé de rejoindre son mari à l’Île d’Elbe ou à Sainte-Hélène. Joséphine mourut de fièvre, à Malmaison, en mai 1814, sinon elle aurait pu le faire.
En bref, on peut voir les énormes réalisations militaires et la popularité des premières années de pouvoir de Napoléon, coïncidant à peu près avec les dix premières années de son mariage avec Joséphine et suivies de son approche de plus en plus ambitieuse et dictatoriale après 1805. Tout cela a conduit à la nécessité de nouvelles guerres qui, à partir de 1810, ont contribué à sa chute.
Supposons cependant que les tubes de Joséphine fonctionnaient normalement au moment de son mariage en 1796. Les choses auraient-elles pu se passer différemment? Supposons qu’un fils soit né fin 1796, un autre conçu en Italie et né début 1798. Puis peut-être deux ou trois autres, filles et fils, nés au tournant du siècle. Joséphine aurait encore la trentaine à cette époque.
Il n’y aurait certainement pas eu de divorce en 1809. Napoléon n’aurait eu ni besoin ni envie d’abandonner la mère de ses enfants. De plus, selon la coutume de l’époque, il aurait été en mesure d’organiser des mariages entre ces enfants – les héritiers légitimes du nouvel Empire français – et la progéniture d’autres souverains européens, réalisant ainsi la paix et la stabilité sans recourir aux ravages qui s’ensuivirent. Face à plusieurs héritiers directs légitimes, les frères et sœurs ambitieux et querelleurs de Napoléon auraient eu beaucoup moins de prétentions sur lui – leurs tentatives pour s’emparer du pouvoir ont également été une cause de beaucoup d’agitation en Europe à l’époque.
Non seulement la politique aurait pu prendre une direction différente, mais le propre caractère de Napoléon aurait pu se développer différemment. À partir de 1805, de nombreux observateurs l’ont décrit comme de plus en plus dictatorial, difficile et irrationnel. Peut-être, poursuivant sa vie de famille à Malmaison, entouré de sa famille, s’occupant des roses, jouant à cache-cache, aurait-il pu s’adoucir, devenir plus affable, plus détendu. Moins enclin à se précipiter vers des solutions militaires, moins ambitieux territorialement, plus enclin à la paix. Ensuite, il n’y aurait peut-être pas eu de marche sur Moscou, pas de restauration des Bourbons vains et ineptes, pas de bataille de Waterloo et pas besoin de la révolution de 1832.
Sur Sainte-Hélène, Napoléon écrit : » Un fils de Joséphine aurait achevé mon happiness…it m’aurait assuré la possession du trône, le peuple français aurait été très attaché au fils de Joséphine, et je n’aurais pas dû poser le pied sur un abîme couvert d’un lit de fleurs. C’est ainsi que Napoléon reconnut tacitement l’impact des tubes de Joséphine sur le cours de l’histoire européenne.