Résumé de l’affaire et résultat
La Cour suprême du Canada a jugé que la poursuite d’un enseignant du secondaire en Alberta pour des propos antisémites dans sa classe constituait une limitation raisonnable et justifiable à la liberté d’expression. James Keegstra, un enseignant du secondaire en Alberta, a dit à sa classe que les Juifs étaient mauvais et doutaient de la survenue de l’Holocauste. Il a été accusé d’avoir volontairement encouragé la haine contre un groupe identifiable, ce à quoi il s’est opposé au motif de la liberté d’expression. La Cour a confirmé la législation canadienne en vertu de laquelle l’enseignant a été accusé parce qu’elle ne souffrait pas de flou ou de généralité et cherchait à éliminer le racisme et la haine.
Faits
Dans ses cours, Keegstra a communiqué à ses élèves plusieurs remarques négatives sur la communauté juive. Il a attribué au peuple juif des qualités maléfiques et a exprimé des doutes quant à la survenue de l’Holocauste. Keegstra a été accusé en vertu du paragraphe 319(2) du Code criminel du Canada d’avoir délibérément encouragé la haine contre un groupe identifiable pour avoir fait des déclarations antisémites et haineuses à ses élèves. Keegstra s’est opposé au motif que le paragraphe 319(2) portait atteinte à son droit à la liberté d’expression en vertu de l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte).
Aperçu de la décision
Le juge en chef Dickson a rendu le jugement majoritaire de la Cour suprême du Canada. La Cour avait deux questions constitutionnelles. La première question était de savoir si le paragraphe 319(2) constituait une atteinte à la liberté d’expression telle que garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. La Cour a conclu que c’était après avoir appliqué l’analyse en deux étapes établie dans une affaire antérieure de la Cour suprême, Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général).
La première étape de l’analyse d’Irwin Toy exige de déterminer si l’allégation d’atteinte à la liberté d’expression relève de l’alinéa 2b) de la Charte. Dans le cadre de cette première étape, la majorité a conclu que l’expression est protégée lorsqu’elle tente de transmettre un sens. Dickson a en outre affirmé que le sens ou le message de l’expression n’était pas pertinent même si, comme dans le cas présent, elle faisait publiquement la promotion de la haine. La deuxième étape de l’analyse d’Irwin Toy nécessite de déterminer si des mesures gouvernementales ont été prises pour restreindre la liberté d’expression. Dickson a conclu que le paragraphe 319(2) visait à empêcher une expression particulière et a donc satisfait la deuxième partie de l’analyse.
La deuxième question posée était de savoir si la limitation de la liberté d’expression pouvait être maintenue en vertu de l’article 1 de la Charte comme étant raisonnable par la loi et justifiée dans une société libre et démocratique. Le jugement majoritaire a répondu par l’affirmative. À cet égard, Dickson a adopté l’approche utilisée dans l’arrêt R. c. Oakes, où il fallait d’abord établir que l’objectif de la législation était de nature pressante et substantielle. Dickson a déterminé que l’objectif de la loi était effectivement pressant et substantiel parce que l’expression promouvant la haine envers des groupes identifiables inhibe indûment le multiculturalisme au Canada.
À ce sujet, le jugement majoritaire fait référence aux instruments internationaux dont le Canada est signataire qui encouragent les États à adopter des lois contre la promotion de la haine. Ensuite, le jugement majoritaire a déterminé que le paragraphe 319(2) était conforme à l’exigence de proportionnalité du critère Oakes. Dickson a établi qu’en vertu de l’exigence de proportionnalité, il existait un lien rationnel entre l’objectif du Parlement et la conviction que le droit pénal est le moyen le plus efficace de supprimer le préjudice causé par la propagande haineuse. De plus, le paragraphe 319(2) établit une atteinte minimale à la liberté d’expression. La disposition ne souffre ni d’imprécision ni d’exhaustivité, car elle exclut les conversations privées, et l’accusé a la possibilité d’invoquer la défense prévue à l’article 319(3). Enfin, le jugement majoritaire a réaffirmé l’importance de l’objectif de la législation contestée d’avoir une société libre et démocratique en essayant d’éliminer le racisme et la haine.
L’opinion dissidente de la juge McLachlin était en accord avec le jugement majoritaire selon lequel la liberté d’expression avait été violée en vertu de l’alinéa 2b) de la Charte. Toutefois, elle n’a pas convenu que la limitation à la liberté d’expression était justifiable et raisonnable en vertu de l’article 1 de la Charte. McLachlin a affirmé que l’aspect criminel de la limitation à la liberté d’expression imposée par le paragraphe 319(2) pourrait avoir un effet dissuasif, principalement parce qu’il pourrait décourager l’expression légitime et causer de l’incertitude quant à la possibilité de poursuivre une expression particulière. L’opinion dissidente a également rejeté l’idée que les poursuites pénales peuvent réduire le racisme et la propagande haineuse. Enfin, McLachlin a fait valoir que les limites établies au paragraphe 319(2) souffrent d’imprécisions et de généralités.