Vers le concept d’écosystème d’innovation 4.0
Par Eric Seulliet et Marcos Lima
Cet article a été publié pour la première fois en français sur 7×7
Ces dernières années, la notion d’écosystèmes d’innovation s’est largement banalisée. Cela s’explique notamment par l’émergence rapide de la notion d’innovation ouverte. Les grandes entreprises veulent interagir avec les startups et vice versa. Les » Laboratoires d’innovation » fleurissent dans de nombreuses entreprises et conduisent au développement de liens collaboratifs avec des acteurs externes de l’innovation, notamment des incubateurs de startups, ou directement avec eux. Nous voyons également le concept émergent d ‘ »excubateurs »: les grandes entreprises commencent à externaliser des projets d’entrepreneuriat dans des environnements considérés comme plus ouverts et plus agiles. Preuve de cet enthousiasme : une nouvelle fonction apparaît même dans certaines entreprises, celle d’IEO (Innovation Ecosystem Officer).
Cette (sur)valorisation de la notion d’écosystèmes d’innovation a conduit à plusieurs ambiguïtés: à quoi ressemblent vraiment les écosystèmes d’innovation modernes. Il est donc nécessaire de revisiter ce concept à la lumière de son nouveau potentiel et de ses anciennes limites, des nouvelles exigences de transparence et d’équité et des nouvelles possibilités technologiques offertes par des technologies telles que l’Internet des objets et la Blockchain.
Revenons aux bases des réseaux d’innovation pour comprendre les caractéristiques intrinsèques d’un écosystème. Ce terme a été inventé par Tansley en 1935 pour désigner l’unité écologique de base de l’environnement et les organismes qui y vivent. Le terme a ensuite été repris par Moore (1993) pour désigner des systèmes d’acteurs avec des relations de coopétition (que l’on pourrait appeler « Écosystèmes 2.0 ») Cette notion supposait que les clusters d’entreprises pouvaient optimiser le flux de talents et de connaissances s’ils partageaient une proximité géographique. Un exemple d’un tel système sont les parcs technologiques tels que Sophia Antipolis en France ou le Research Triangle Park en Caroline du Nord. Dans un article récent (disponible ici), nous avons fait valoir que la métaphore de la biologie était utile pour désigner ces réseaux, malgré certaines limites. Pousser la métaphore permettrait des collaborations plus organiques et extraterritoriales rendues possibles par des réseaux d’apprentissage virtuels en ligne (ce que l’on pourrait appeler des écosystèmes d’innovation 3.0).
Les 7 Dimensions des écosystèmes d’innovation 4.0
Dans les paragraphes suivants, nous suggérons que ce concept puisse être poussé encore plus loin à la lumière des développements technologiques récents qui offrent des algorithmes de confiance distribués, comme les systèmes de gestion de la propriété intellectuelle compatibles avec la Blockchain. Un autre exemple de ces réseaux d’apprentissage plus vastes se trouve dans ce qu’on appelle maintenant les « Villes intelligentes ». Nous appelons ces environnements de dernière génération des » Écosystèmes d’innovation 4.0 « .
- Les écosystèmes d’innovation peuvent être virtuels, mais ils doivent être ancrés dans des hubs réels
De nombreux écosystèmes d’innovation reposent essentiellement sur des relations virtuelles. A l’heure du web, celles-ci sont évidemment inévitables et ont leurs avantages. Néanmoins, un écosystème 4.0 doit être ancré quelque part dans la vie réelle. Concrètement cet ancrage peut se traduire de différentes manières.
Cela peut être en étant situé dans un endroit où les membres de l’écosystème se réunissent pour interagir et co-créer. Cela explique que de nombreux écosystèmes s’organisent autour d’espaces de rencontre aussi divers que des » laboratoires d’innovation « , des incubateurs, des fablabs, etc. Ces lieux forment en quelque sorte un véritable biotope favorable à leur développement. Un exemple d’un tel espace est l’emblématique « Station F » inaugurée l’année dernière à Paris. Ses 34 000 m2 sont partagés par des incubateurs, des fonds d’investissement, des services publics et de grandes entreprises en quête de coopération.
Un écosystème est également ancré par tout élément qui contribue à forger son identité et son authenticité : une histoire, une culture, des traditions et des savoir-faire. En ayant un thème central, un écosystème sera d’autant plus efficace pour ses membres. Avoir un domaine d’application privilégié permet de se concentrer sans se disperser.
2. Les écosystèmes d’innovation doivent être transversaux et multidimensionnels
Bien qu’un écosystème ait un thème ou un domaine d’expertise dominant, il peut également être de nature diverse. Plus un écosystème dispose de compétences transversales et transdisciplinaires, plus il sera riche et plus il sera capable d’absorber de nouvelles opportunités d’innovation. Rappelons à cet égard la loi de Metcalfe qui stipule que plus il y a d’opportunités d’interaction dans un réseau, plus ce réseau sera précieux. Plus un écosystème est ouvert et flexible, plus il deviendra potentiellement puissant. En ne limitant pas un écosystème à ses partenaires habituels (professionnels, experts), un écosystème peut tirer parti des connaissances et de la perspicacité des clients, des organisations non gouvernementales et des étudiants de premier cycle, devenant ainsi plus innovant.
Un écosystème innovant doit non seulement favoriser les interactions, mais aussi faciliter les relations symbiotiques entre les différentes initiatives lancées au sein de son environnement. Cela nécessite un effort actif des « catalyseurs de l’intelligence collective », des entités spécialisées dans le rapprochement des talents des entreprises, du gouvernement et des universités pour réfléchir ensemble aux opportunités d’innovation.
Les écosystèmes d’innovation 4.0 devraient encourager de manière proactive la co-création grâce à une structure flexible et adaptable.
3. Les écosystèmes d’innovation doivent être ouverts et connectés
C’est un corollaire de l’idée précédente. Un écosystème ne doit pas fonctionner dans le vide. Il sera d’autant plus productif qu’il sera ouvert à d’autres écosystèmes et facilitera les connexions entre eux. Ils peuvent ainsi tirer parti de l’innovation ouverte.
Plutôt que de fonctionner en silos, ces organismes doivent plutôt s’interconnecter. C’est à cette condition qu’ils pourront se revitaliser en se nourrissant d’apports extérieurs tout en contribuant à diffuser un état d’esprit d’innovation. Procter and Gamble est un bon exemple d’entreprise ouverte à son écosystème. Plutôt que de développer ses nouveaux produits uniquement dans ses laboratoires R&D, P&G est devenu un expert dans la compétence d’identification des produits innovants auprès de ses fournisseurs, clients de type « lead user » et concurrents. D’autre part, plutôt que de jeter des idées de produits qui ne correspondent pas à leur stratégie (comme autrefois), P&G préfère désormais créer des licences et des brevets exploitables par d’autres acteurs de son écosystème.
Un écosystème d’innovation 4.0 devrait encourager ses membres à interagir en permanence avec d’autres partenaires de l’écosystème.
4. Les écosystèmes d’innovation doivent éviter la centralisation et repenser la gouvernance
Souvent, les écosystèmes actuels sont dominés – sinon initiés – par une organisation (entreprise, institution) qui joue un rôle central. La conséquence de cette position est que l’écosystème est sous le contrôle de ladite organisation. Il en résulte une captation de la valeur ajoutée produite par les membres de l’écosystème au profit de cette entité centrale.
Dans un écosystème 4.0, la gouvernance est équitablement répartie. Il s’agit d’une gouvernance décentralisée favorisant les relations horizontales entre pairs.
Un exemple concret de cette « ubérisation d’Uber » est donné par le cas de La’Zooz, une start-up israélienne de covoiturage détenue par la communauté via un système de gouvernance basé sur la Blockchain.
Ce nouveau type de gouvernance sera d’autant plus favorisé que les communautés d’innovation seront au cœur des écosystèmes d’innovation.
Eric von Hippel, professeur au MIT, est reconnu pour avoir montré que les utilisateurs engagés et avant-gardistes (les » lead users » mentionnés ci-dessus) par leur rôle de leaders de communautés pouvaient être des acteurs majeurs pour innover et co-créer.
Ces dernières années, les grandes entreprises ont pris conscience de la nécessité d’impliquer leurs clients et utilisateurs dans les processus d’innovation. C’est ainsi que des communautés d’innovation se forment à leur initiative. Déjà Renault, Michelin, Decathlon, Solomon, Schneider Electric, Seb ont créé leurs propres communautés. Un livre récent présente des exemples de la création et du fonctionnement de ces communautés.
Les écosystèmes d’innovation 4.0 sont organisés de manière décentralisée autour des communautés d’utilisateurs.
5. Les écosystèmes d’innovation devraient développer activement des outils et des méthodes pour mieux collaborer
Le fonctionnement optimal d’un écosystème d’innovation de pointe résulte à la fois d’échanges spontanés et informels, résultant d’une sérendipité naturelle mais aussi d’interactions organisées. Pour cela, il est nécessaire d’avoir des méthodes et des outils. Ces méthodes et outils comprennent des systèmes de gestion de l’intelligence collective, des plates-formes d’idéation, des méthodes telles que le design thinking et le prototypage rapide, l’analyse prospective.
Avec les nouvelles technologies comme la blockchain, la réalité virtuelle et la 3D, l’intelligence artificielle, les données intelligentes, les neurosciences, etc. les écosystèmes de nouvelle génération deviennent plus adaptatifs et plus efficaces.
L’écosystème d’innovation 4.0 doit évoluer à travers des outils, des méthodes, des nouvelles technologies.
6. Être éthique et droit
Un écosystème classique est souvent dominé par un acteur de référence (souvent celui-là même qui a été à l’origine de la constitution de l’écosystème). Cette configuration a pour conséquence que la valeur ajoutée créée par les membres est en grande partie captée par cet acteur, comme cela a été avancé précédemment, cela pose un dilemme éthique majeur. Cet état de fait génère également une performance moindre en raison du manque de motivation des membres résultant d’un manque de reconnaissance individuelle. Dans un article récent publié par Harvard Business Review France, nous pointions les limites d’un écosystème d’innovation et indiquions que la blockchain pourrait être la solution aux systèmes distribués de confiance et de partage. Cela présente en effet de nombreux avantages pour rétablir l’équité entre les membres d’un écosystème : traçabilité et notarisation des contributions individuelles, suppression d’une entité centrale de contrôle, facilitation des échanges entre pairs.
L’écosystème d’innovation 4.0 doit être basé sur l’éthique du partage: chaque contributeur est reconnu pour ses propres contributions et la valeur ajoutée est équitablement répartie.
7. Les écosystèmes d’innovation doivent avoir un sens commun de l’orientation, du sens et des valeurs
Un écosystème sera plus fort si ses membres partagent des valeurs et des objectifs communs, devenant plus significatif pour ses membres. Tout comme dans une organisation, l’intelligence collective ne peut fonctionner que si elle est orientée vers des objectifs, si l’écosystème a une » raison d’être » partagée et reconnue par toutes les parties prenantes.
Ce n’est qu’en ayant de tels objectifs et valeurs partagés que les membres de l’écosystème se sentiront motivés et impliqués. Ces valeurs communes doivent être identifiées et communiquées dans un écosystème de la même manière qu’au sein d’une organisation, afin de créer une culture interorganisationnelle qui lie ses membres par leur objectif commun. Et si cet objectif semble noble, il favorisera davantage leur engagement.
Les écosystèmes d’innovation 4.0 doivent s’épanouir en rassemblant une communauté de membres autour d’une mission et de valeurs clairement identifiées et partagées.
En conclusion, on peut dire que les écosystèmes d’innovation réunissant ces différentes caractéristiques pourraient fonctionner comme d’immenses « laboratoires vivants « . En ajoutant une technologie distribuée pour le partage d’idées et la recherche de la paternité et du mérite, ces laboratoires vivants pourraient devenir la pierre angulaire des écosystèmes d’innovation 4.0.
Tous ces concepts seront discutés et présentés lors de la Journée de l’Innovation 2018, 3ème édition des Écosystèmes Agora Innovation, co-organisée par le RRI (Réseau de Recherche sur l’Innovation), La Fabrique du Futur, France Living Labs et le Centre de Recherche du Pôle Léonard de Vinci.
Informations et inscription via https://journeeinnovation2018.eventbrite.fr
Encadré : ValYooTrust, exemple d’écosystème d’innovation 4.0
ValYooTrust est la première Place de Marché de Confiance pour l’Innovation 4.0, construite autour d’une blockchain privée qui récompense les co-innovateurs sous forme de Pièces d’Innovation, en reconnaissance du partage de leurs actifs incorporels, le plus en amont possible dans le processus d’innovation.
ValYooTrust répond à trois demandes d’innovation dite » collaborative » qui vise à bénéficier de l’effet de transversalité massif lié au plus grand nombre possible de contributeurs dans l’écosystème de l’innovation:
1. Apporter une réponse digitale agile (4.0) à la complexité, la lourdeur et la lenteur du scénario de négociation de toutes les forces disruptives de l’innovation (Chercheurs, Entrepreneurs, Grands Comptes, ETI, PME, Investisseurs, etc. .)
2. Impliquer le citoyen-utilisateur-consommateur le plus en amont possible dans le processus d’innovation, en application du nouveau paradigme du numérique durable qui place l’humain au centre des bouleversements sociétaux, industriels, etc.
3. Établir dans les meilleurs délais une relation de confiance mutuelle » éprouvée » entre les soumissionnaires et les demandeurs de l’écosystème d’innovation, conformément au RGPD et assurant une protection 4.0 et un juste retour sur le partage des actifs incorporels, notamment pour les porteurs de projets d’entreprise.
ValYooTrust est co-parrainé par de grands organismes d’enseignement supérieur dont l’IMT, de grands comptes, des ministères, des start-up et des think tanks, dont La Fabrique du Futur, CCI de France, etc. Une première version de la Plateforme est attendue pour l’été 2018.